Lettre ouverte en solidarité aux artistes et ressortissant•e•s du Sahel

adressée

à Monsieur le Président de la République française,

et

à Madame la Première Ministre,

Monsieur le Président,

Madame la Première Ministre,

C’est avec une profonde stupeur que les artistes et professionnel•le•s de la culture ont pris connaissance de l’injonction envoyée, mercredi 13 septembre 2023, aux structures subventionnées leur ordonnant de suspendre, « sans délai et sans aucune exception », « tous les projets de coopération » menés « avec des institutions ou des ressortissants » du Mali, Niger et du Burkina Faso.

Cette décision a suscité une vague d’incompréhension et de refus. Cet appel à la fermeture se heurtant non seulement à la tradition d’hospitalité de la France, mais  aussi à son engagement reconnu et apprécié en faveur de la culture : vous ne dites rien d’autre Monsieur le Président quand vous déclarez que « la vocation de la France, c’est d’accueillir les artistes, les intellectuels et de pouvoir justement les faire rayonner en toute liberté ».

Et pourtant, en dépit du courriel de clarification du directeur de cabinet de la ministre de la Culture, la double peine que cette décision fait peser sur les artistes du Mali, du Niger et du Burkina Faso, n’est à cette heure toujours pas écartée. Double peine, parce que ces artistes subissent, d’une part, les injonctions des régimes que vous qualifiez vous-même de putschistes et, d’autre part, la décision française qui ôte le droit fondamental accordé à tout être humain de circuler librement.

Vous évoquez des problèmes « techniques » à l’origine de la non-délivrance de visas pour ces trois pays. Les entreprises culturelles françaises connaissent pourtant déjà depuis des années les difficultés nombreuses et importantes qui existent pour les ressortissants des pays du Sud, lors de l’obtention de ces visas auprès des services consulaires français. Et nous n’ignorons pas que la situation sécuritaire au Niger, au Mali et au Burkina Faso impacte le bon fonctionnement de ces services. Nous tenons à saluer le travail de ces fonctionnaires qui, au-delà de l’image convenue de l’expatrié, ont su développer de véritables attaches dans leur pays provisoire d’accueil. Ils représentent pour leur part aussi, un fil d’humanité entre Nations, et les accompagnateurs de possibles rencontres. Ce fil d’humanité qui devrait, au fond, tous nous unir et qui aujourd’hui devrait être notre seul guide.

Nous ne vous apprenons rien, en disant qu’il existe d’autres moyens « techniques et matériels » d’avoir le visa que de se rendre au consulat de France dans son pays : aller dans un pays limitrophe, solliciter le consulat d’un autre pays Schengen, obtenir le visa à l’arrivée en France. 

Hier comme aujourd’hui, des artistes d’autres parties du monde obtiennent ainsi leur droit d’entrée en France. 

Monsieur le Président, vous affirmez qu’il « n’est pas question d’arrêter d’échanger avec les artistes », pourtant en refusant toute nouvelle délivrance de visa, c’est exactement ce qui va se produire pour de nombreux artistes du Mali, du Niger et du Burkina. Pire, cela va contribuer à créer des situations absurdes et dramatiques. Pour un même spectacle, les artistes ayant déjà obtenu leurs visas seront là, et les autres se tourneront les pouces de « l’autre côté ». C’est déjà le cas pour certains festivals obligés d’annuler des spectacles, des concerts... Outre le gâchis d’argent public, ce sont d’abord et avant tout des mois de travail, de recherche, de curiosité de part et d’autre des continents qui sont réduits en larmes, colère et poussière. Cela n’est pas de nature à atténuer le sentiment anti-français ou anti-représentations françaises que vous souhaitez, à juste titre, combattre.  

Monsieur le Président, madame la Première Ministre, si l’Histoire nous apprend quelque chose, c'est la puissance, la richesse, la force, la nécessité de la circulation des idées, des savoirs, des arts et des collaborations entre artistes. Précisément au moment où les régimes politiques se retournent, précisément quand la diplomatie échoue, précisément quand la politique internationale semble faillir. 

À l'heure où l'on fête les 50 ans du coup d'État chilien, souvenons-nous du rôle qu'ont joué les artistes chilien•ne•s et français•e•s dans le déploiement d'autres possibles, d'autres langues, d'autres perceptions. Le lien entre artistes est précieux ; il est le lieu fragile et puissant de la rencontre toujours possible par delà les frontières. En maintenant les visas, ce ne sont pas des visas qui seront maintenus, mais des passerelles. En maintenant les visas, ce sont des ponts que vous bâtissez au lieu de murs. En maintenant les visas, vous luttez contre l’aveuglement, l’obscurantisme et bien plus que cela vous empêchez la rupture.

Nous artistes, professionnel•les de la culture, spectateur•rice•s, citoyen•e•s, nous ne pouvons accepter de suivre une politique discriminatoire entre les artistes déjà présent•e•s sur le sol français et celles et ceux déclaré•e•s, on ne sait pour combien de temps, absent•e•s. L’élan de solidarité que la lettre comminatoire du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a eu le mérite de créer, nous voulons le porter haut et fort. 

Au nom de l’exception culturelle française qui inspire largement la politique d'autres pays appartenant à cette Francophonie dont la France se veut l'un des moteurs, et dont les artistes constituent l'un des piliers majeurs, nous demandons la mise en place de mesures exceptionnelles assurant la continuité immédiate et sans délai de la libre circulation des artistes et de toutes les personnes concernées par cette situation.

En solidarité avec nos collègues impacté•e•s par les mesures discriminatoires et injustes, nous affirmons que nous sommes malien•ne•s, nigérien•ne•s, burkinabè, et plus largement citoyen•ne•s d'un monde culturel et artistique sans frontières. 

Monsieur le Président, madame la Première Ministre, nous vous demandons de revenir sur une décision contraire au bon sens, à la morale, aux valeurs d’hospitalité, de solidarité et d’engagement de la France en faveurs des échanges culturels.

Gustave Akakpo, poète, comédien, metteur en en scène, artiste associé au TDB, conseiller artistique de la Fabrique de fictions 

Émile Lansman, cadre culturel francophone et éditeur 

Hassane Kassi Kouyaté, directeur du festival Les Francophonies - Des écritures à la scène 

Jean-Michel Lucas, Laboratoire de Transition vers les Droits Culturels.

Catherine Blondeau, directrice du Grand T, théâtre de Loire-Atlantique à Nantes

Cédric Brossard, directeur artistique de La Fabrique Francophone 

Olivier Py, directeur du Théâtre du Châtelet 

Métie Navajo, autrice, comédienne 

Kevin Keiss, auteur/dramaturge associé au projet de la direction du TDB et maître de conférences associé en théâtre à l’université Bordeaux-Montaigne

Thierry Blanc, coordinateur du Comité de lecture du Quartier des Autrices et Auteurs 

Nathalie Huerta, directrice du Théâtre Joliette, Marseille 

Pascal Paradou, adjoint à la directrice, en charge des magazines chez RFI - Radio France Internationale  

Manuel CESAIRE, directeur de Tropiques Atrium -Scène nationale de Martinique

Muriel Mayette-Holtz, directrice du théâtre national de Nice 

David Bobee, directeur du Théâtre du Nord, Lille 

Carole Thibaut, artiste et directrice du centre dramatique national de Montluçon 

Sylvie Caroff, conseillère municipale déléguée au musée Henri-Martin, au théâtre municipal, à la médiation culturelle et aux centres sociaux à la mairie de Cahors

Pour signer : courriel à adresser à  adjigustaveakakpo@gmail.com

AICT/IATC – LES CRITIQUES DE THÉÂTRE NOMMENT LA LAURÉATE DU PRIX THALIE [Communiqué de Presse]