Jean-Louis Vincent, la disparition d’un grand monsieur du théâtre français Ancien administrateur de la Comédie-Française, ayant dirigé le TNS, mais aussi le théâtre de Nanterre-Amandiers, Jean-Pierre Vincent nous a quitté dans la nuit de mercredi à jeudi. Âgé de 78 ans, ce proche de Chéreau a succombé aux séquelles du Coronavirus qu’il avait contracté au printemps. Discret depuis qu’il avait mis en scène, au festival d’Avignon, il y a deux ans, les élèves de l’école du Théâtre national de Strasbourg, dans la trilogie tragique d’Eschyle, l’Orestie, l’homme de théâtre préparait sa prochaine création, Antigone de Sophocle. Jamais à l’arrêt, toujours interrogeant son métier, sa pratique, il cherchait dans les classiques – Dom Juan ou le Festin de Pierre de Molière au Français en 2012 ou le Mariage de Figaro de Beaumarchais en 1987, doublement couronné des Molières du metteur en scène et du spectacle et du Grand prix de la Critique - comme dans les inédits – notamment avec Capitaine Schelle, Capitaine Eçço de Rezvani, dont l’adaptation lui valut en 1972, le prix du Syndicat de la Critique de la meilleure création en langue française - , à en souligner la richesse textuelle, à les ancrer dans le présent. Une vie consacrée au Théâtre Public Né en août 1942 à Juvisy-sur-Orge, c’est en 1958 au Lycée Louis-le-Grand, que Jean-Pierre Vincent commence à s’intéresser à ce qui deviendra sa passion, son sacerdoce, son essentiel. Il participe activement à un groupe théâtral, qui compte parmi ses membres les plus imminents, Jérôme Deschamps et Patrice Chéreau. La rencontre est un coup de foudre amical et fondateur. Ensemble, ils s’engagent pour un autre théâtre, plus politique, plus engagé, moins poussiéreux, moins ronronnant. Reprenant le credo de Jean Vilar, ils militent pour que cet art vivant reste populaire, c’est-à-dire destiné à une multiplicité de publics, allant des néophytes aux théâtreux les plus acharnés. Très vite, c’est l’heure de fouler pour la première fois les planches dans Amal et la lettre du roi de Rabindranath Tagore, puis de s’essayer un an plus tard, à sa première mise en scène avec La Cruche cassée de Kleist. Remarqué, proche du réalisateur de la Reine Margot, il co-anime avec lui la troupe qui tend à se professionnaliser, et logiquement le suit à Gennevilliers puis à Sartrouville. La lutte des classes au cœur de son travail Défendant, vent debout, le modèle du théâtre public à la française, de plus en plus menacé par des coupes budgétaires, une profusion des productions et des temps d’exploitation réduits à peau de chagrin, il a toujours clamé haut et fort le rôle essentiel de l’art vivant dans la construction de nos démocraties, de nos sociétés. Perclus de dette, Chéreau à 23 ans s’est cassé les dents à Sartrouville, il quitte le combat, un peu désespéré. Toujours en quête de nouvelles expériences, toujours rêvant d’un théâtre populaire, à l’instar de Roger Planchon, Jean-Pierre Vincent continue la lutte mais cette fois accompagné du dramaturge Jean Jourdheuil, qu’il rencontre en 1968. Allant d’un centre dramatique national à l’autre, ils prêchent ensemble la bonne parole et revisitent les œuvres du répertoire de Brecht à Labiche, en passant par Goldoni avec le souci d’y mettre en exergue les implications historiques, politiques, sociales et philosophique des textes. Cette riche collaboration leur vaut une belle reconnaissance publique et critique. En 1975, le metteur en scène est nommé directeur du TNS. Ce sera la fin d’une fructueuse et riche collaboration. Jourdheuil reste réfractaire à toute forme d’institution, à tout enfermement. Un visionnaire A l’avant-garde d’un théâtre véritablement démocratisé, Jean-Pierre Vincent lance le hors les murs. Vivant, l’art dramatique doit pouvoir se jouer partout. Il ne ménage pas sa peine pour faire du théâtre un lieu ouvert. En 1982, il est investi par François Mitterrand au poste d’administrateur du Français, où il n’aura de cesse de sortir la maison de Molière de sa routine, faisant rentrer au répertoire des auteurs contemporains, des metteurs en scène révolutionnaires pour l’époque Claude Régy ou Georges Lavaudant. Des choix, des prises de positions qui divisent la troupe. Le conservatisme l’emporte. Il claque la porte en 1986, jurant qu’on ne le rependra plus. Avec un certain plaisir il retrouve sa liberté de metteur en scène indépendant. Quatre ans plus tard, Chéreau lui propose de prendre sa suite aux Amandiers à Nanterre. Jean-Pierre Vincent se fait un peu prier, mais accepte. Il restera dix ans à la tête de cette institution, et permettra ainsi à de jeunes comédiens de faire leurs armes et de tracer leur voie vers des sommets. C’est le cas notamment de Denis Podalydès, d’Emmanuelle Béart ou d’Eric Elmosnino. Studio Libre, une nouvelle aventure En 2001, le metteur en scène vogue vers de nouveaux horizons. Il fonde avec le dramaturge Bernard Chartreux, sa compagnie et continue à jouer l’alternance entre pièces du répertoire et textes contemporains. Remettant sur le métier toujours son ouvrage, à chaque création, il peaufine son art, le rend de plus en plus ciselé, intense. Revisitant En attendant Godot de Beckett en 2015, puis George Dandin de Molière en 2018, avec le souci de les faire résonner avec l’actualité, drame écologique pour l’un, guerre des sexes pour l’autre, il questionne encore et toujours le monde d’aujourd’hui à travers des œuvres intemporelles. Devenu un classique malgré lui, Jean-Pierre Vincent n’avait pas fini de nous étonner, de nous captiver, de nous secouer. Le covid en a décidé autrement, après plusieurs AVC, cette figure tutélaire de l’art dramatique s’en est allé rejoindre au paradis des artistes, son ami Chéreau. Depuis maintenant 7 ans séparés, suite à la mort du réalisateur en octobre 2013, leurs retrouvailles devraient consolées, un monde du théâtre devenu orphelin. Olivier Frégaville-Gratian d’Amore - LŒil d'Olivier crédit photo © Jean-Louis Fernandez - avec son aimable autorisation