La Mort de Luc Bondy, un grand d’Europe En ce soir de première de « l’Orestie », mercredi 2 décembre, l’émotion dans la salle de l’Odéon à Paris était palpable. Luc Bondy, disparu quelques jours plus tôt, était présent dans toutes les têtes et dans bien des cœurs. Juste avant la représentation, le metteur en scène italien Romeo Castellucci s’est propulsé sur la scène, a prononcé le nom du directeur défunt, et dos au public, face au rideau noir, a lancé une salve d’applaudissements. Les spectateurs debout ont salué deux minutes durant la mémoire du grand homme de théâtre. Pour les critiques que nous sommes, c’est une part de nous-mêmes qui s’éteint à chaque fois que disparait une étoile de la scène. Luc Bondy est mort jeune à 67 ans, mais il avait 45 ans de carrière derrière lui. Malade dès l’âge de 24 ans, il a dévoré sa vie d’artistes réalisant plus de 75 mises en scène, parmi lesquelles une quinzaine d’opéras. Bondy ne se revendiquait d’aucune école, d’aucun style. Il prisait l’éclectisme, adorait avant tout les textes et leurs possibles. Il misait à fonds sur les comédiens (et chanteurs), leur jeu, leur personnalité, leur être. Son regard était juste, humain, teinté d’une ironie joyeuse et d’une mélancolie, propres à la « Mittle Europa », son territoire intime. D’aucuns se souviennent du charme discret de « Terre étrangère » d’Arthur Schnitzler créé en 1984 aux Amandiers (qui l’a peu ou prou révélé en France) ou de « La Ronde », l’opéra de Philippe Boesman (d’après Schnitzler aussi) à la Monnaie de Bruxelles en 1993. Plus récemment à l’Odéon, nombre d’entre nous ont vibré à ses « Fausses confidences » portées par une Isabelle Huppert survoltée. Et à sa dernière création : un « Ivanov » ultra-noir, programmé juste après les attentats de Charlie et de l’Hyper Cacher, où le jeune Micha Lescot (couronné par notre association) a fait des merveilles dans le rôle-titre. On retrouvera le comédien l’an prochain dans « Tartuffe », avant dernier spectacle du maître, remplaçant in extremis cet « Othello » qu’il n’a pas eu le temps de monter avant de mourir. Excellent metteur en scène, Bondy fut aussi un grand directeur d’institution et de festival à l’étranger: co-directeur de la prestigieuse Schaubühne de Berlin (1985 à 1987) et patron du festival de Vienne de 2002 à 2013. Les polémiques sur sa nomination à la tête de l’Odéon en 2012 ont fait long feu ‑ à l’aune de son travail de mise en scène et de sa programmation étincelante. Un choix résolument européen (Van Hove, Castellucci, Pommerat, Jolly, Warlikowski, Ostermeier…). Parce que l’Odéon est ‑ et doit - rester le Théâtre de Europe. Parce que Luc Bondy voulait à tout prix défendre la culture de notre continent malade de ses crises et de ses doutes. Parce que Luc Bondy était un grand européen. Plus que cela : un grand d’Europe. Philippe Chevilley, collège Théâtre Homme de théâtre et de passion, Luc Bondy, au même titre que son aîné Patrice Chéreau, ne pouvait négliger d’aborder l’art lyrique au sein de son vaste parcours artistique. Il signe ses premières mises en scène d’opéras au Staatsoper de Hambourg en abordant d’emblée deux ouvrages particulièrement complexes du XXème composés par Alban Berg, Lulu en 1977 et Wozzeck quatre ans plus tard. En 1984, Luc Bondy débute une collaboration importante avec Gérard Mortier alors directeur du Théâtre de la Monnaie de Bruxelles (ils se retrouveront plus tard à Salzbourg et à l’Opéra National de Paris) avec en premier lieu, Cosi fan tutte de Mozart, une réussite placée sous le signe de la sensualité et de l’équilibre, suivie en 1989 par le Couronnement de Poppée de Monteverdi. La création lyrique contemporaine s’inscrit ensuite durablement au cœur des réalisations de Luc Bondy à Bruxelles toujours, puis au Festival International d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence et à Paris. Il signe ainsi en 1993 le livret et la mise en scène de la Ronde d’après Arthur Schnitzler sur une musique de Philippe Boesmans. La forte complicité artistique établie avec ce dernier va se poursuivre à travers trois autres ouvrages centraux, Le Conte d’hiver, Julie d’après Mademoiselle Julie d’August Strinberg, puis Yvonne, Princesse de Bourgogne, évoquant en cela le souvenir de la fructueuse collaboration d’Hugo von Hofmannsthal et de Richard Strauss. C’est avec une autre création que Luc Bondy clôt son parcours lyrique en 2014 dans le cadre du Festival de Salzbourg avec Charlotte Salomon opéra de Marc-André Dalbavie, servi par une distribution vocale très majoritairement française. On se souviendra bien entendu de sa mise en scène de Don Carlos de Verdi au Théâtre du Chatelet en 1996 et plus encore de ses productions créées pour le Festival d’Aix en Provence, un troublant Tour d’écrou de Benjamin Britten en 2001 et Hercules de Haendel en 2004. Sa Tosca de Puccini, présentée au Metropolitan Opéra de New York en 2009, puis reprise à l’Opéra de Munich et à la Scala de Milan, sombre et austère, sera plus discutée. A son actif et entre autres, il convient de noter ses mises en scène de Don Giovanni (Vienne) et d’Idoménée (Palais Garnier, Paris 2006) de Mozart, Salomé de Richard Strauss (Salzbourg et Paris). Après Patrice Chéreau il y a deux ans, l’opéra perd en Luc Bondy un sincère et précieux serviteur. José Pons, collège Musique