Colloque : « Critique <=> Création » (Paris, Décembre 2015)

Colloque international : Critique <=> Création, 10, 11, 12 décembre 2015

au Théâtre des Abbesses et à Institut National d’Histoire de l’Art


 

Alors qu’elle s’est déployée sur un large spectre, embrassant des genres variés du compte-rendu à l’expertise, s’installant sur les supports les plus divers des revues de référence aux réseaux sociaux, étendant enfin son autorité de la presse à l’université, la critique parait avoir perdu un peu de son tranchant depuis la fin des années 1970. Bien que leurs échos nous parviennent à travers quantité de travaux historiques, les controverses doctrinales qui avaient agité les époques antérieures semblent en veilleuse au début du XXIe siècle, comme si les écoles et les chapelles pouvaient désormais cohabiter dans la concorde d’un colloque académique.

Reconverties dans le domaine esthétique, les positions politiques s’affrontent à bas bruit, oublieuses des clameurs des cafés où se discutaient le caractère plus ou moins révolutionnaire d’un roman, d’un film, d’une fresque ou d’un spectacle. Les polémiques suscitées par des mouvements artistiques et des œuvres emblématiques sont elles-mêmes assourdies par rapport aux débats qui ont rythmé l’histoire des arts, de la querelle des Anciens et des Modernes aux provocations de Cobra, du Manifeste des Nouveaux Réalistes aux revendications de la nouvelle vague ou du théâtre alternatif. En sifflant la fin de la course des avant-gardes, la critique aurait-elle cédé le terrain de l’analyse à un éclectisme de bon aloi, hospitalier à toutes formes, ou bien s’est-elle simplement libérée de l’emprise des grands corps de doctrine qui l’étreignaient hier – marxisme, structuralisme ou freudisme – afin d’écrire un texte plus sensible aux variations de la perception?

Il s’agit en somme d’examiner à quel point la critique est encore critique d’elle-même. L’étymologie la renvoie à la notion de crise, comme elle parente du verbe grec κρίνειν (juger, estimer, mais aussi choisir, décider), et dont l’usage va croissant par les temps qui courent. Mais en quoi les bouleversements et les conflits qui agitent l’époque lui assignent-ils des missions particulières ? La réponse à la question de son actualité ou de son devenir doit bien sûr être éclairée par l’étude de son parcours à travers l’histoire culturelle. Elle peut aussi surgir d’une réflexion sur les rapports de fécondation croisée qui se sont récemment instaurés, sur des modes inaccoutumés, entre les pratiques artistiques et les théories esthétiques.

La critique est problématique par essence, mais son exercice s’inscrit dans des champs distincts et des registres spécifiques, ce qui compromet tout diagnostic sur son évolution globale. Ses hypothèses, ses conclusions reflètent la formation et les convictions du critique de métier, mais aussi ses conditions de travail et d’expression, selon que ce dernier officie dans un journal quotidien, une revue de culture générale ou une publication savante, sur une station de radio, une chaine de télévision ou un site Web, du haut d’une chaire universitaire, devant un parterre d’étudiants, ou à la lisière d’un plateau, au contact des interprètes. Opération du jugement, elle détermine la réception des œuvres en aval, non sans influencer leur conception en amont. Sa portée dépend notamment de la proximité entre les artistes, qui sont nombreux à se faire les exégètes de leurs propres ouvrages, et les critiques, dont certains sont dotés d’un véritable pouvoir de prescription. Il est ardu, mais urgent d’estimer l’apport de la critique au travail de la pensée.

Le colloque international "critique <=> création" vise donc à mieux saisir les objets, les outils, les thèmes, les figures, les protocoles, les concepts qui s’imposent à elle, à partir des disciplines artistiques et intellectuelles auxquelles elle s’alimente. Pour ce faire, la plus grande attention sera accordée aux contradictions que rencontre la critique actuelle, suivant qu’elle aborde des œuvres, des dispositifs, des appareils ou des processus ; qu’elle ausculte des pièces relevant d’une spécialité reconnue ou des réalisations procédant d’une combinaison de techniques ; qu’elle désire se montrer à l’écoute des ateliers et des studios ou qu’elle souhaite vérifier la cohérence de ses systèmes ; qu’elle se veut savante ou vouée à la vulgarisation ; qu’elle se cantonne dans le cadre national ou qu’elle envisage d’autres scènes ; enfin qu’elle obéit aux exigences de la connaissance ou à celles de la communication.

La pluridisciplinarité constitutive de l’équipe de recherche HAR lui permet d’aborder ces questions de manière à la fois transversale et innovante. Sur ce sujet d’intérêt commun, elle a lancé un programme étalé sur trois années universitaires, de novembre 2013 à décembre 2015, impliquant aussi bien ses partenaires du Labex Arts-H2H, ses correspondants dans d’autres laboratoires et des responsables d’institutions culturelles de premier plan, que les jeunes chercheurs qui lui sont rattachés, afin que ces diverses composantes confrontent leurs orientations disciplinaires et leurs options méthodologiques, à travers des journées d’étude, un séminaire public.

Le colloque international "critique <=> création", qui débouchera sur une publication scientifique en 2016, soumet à la discussion – et à la critique – de spécialistes français et étrangers des diverses disciplines concernées (théâtre et danse, cinéma, vidéo et arts numériques, art moderne et contemporain, littérature, musique) les principales hypothèses qui se sont dégagées de ces travaux.


 

Programme :

Qu’elle l’inspire, l’accompagne ou l'éclaire, la critique entretient des relations intimes avec la création artistique. Loin de se résumer à une articulation entre théorie et pratique – la première dominant la seconde ou se pliant au contraire à son service – leurs rapports affectent les conditions d’élaboration et d’appréciation des œuvres, donc la mise en forme de la pensée sur l’art. Aujourd'hui, la question se pose néanmoins de savoir si l’apologie de la création, à laquelle les politiques culturelles, la chronique journalistique et la production savante ont concouru dans les dernières décennies, n’a pas contribué à affaiblir certaines exigences de la critique. Et pourtant, dans leurs travaux aussi bien que dans leurs procédés et leurs discours, les artistes contemporains sont nombreux à se réclamer des paradigmes d’une pensée critique nourrie par l’histoire, la philosophie et les sciences sociales. Si la critique agit sur la création, celle-ci ne manque pas de portée critique.

Chaque séance, comprenant plusieurs contributions de chercheurs, artistes ou critiques, est suivie d’un temps de discussion approfondie permettant de croiser les différentes approches et disciplines.

Les 10 décembre et 11 décembre 2015 au Théâtre des Abbesses – Entrée libre

31 rue des Abbesses, Paris 18e - Métro Abbesses, ligne 12, ou Pigalle, lignes 2, 12

Bus lignes n° 30, 54, 67, Montmartrobus - Parking Clichy Montmartre, rue Caulaincourt, ou parking Anvers, place Anvers.

<=> [séance 1] jeudi 10 décembre matin : Histoires, figures, objets.

Historiquement, la fonction critique a conquis son autonomie au fur et à mesure que s’affirmait la figure du critique, intermédiaire entre l’œuvre et son public, chargé de guider ce dernier dans la jungle des signes, voire délégué de la postérité ayant mission d’évaluer au présent les objets que la mémoire mérite de conserver. Dans une époque où la critique de presse n’impose plus son jugement, à la fois contesté par l’analyse universitaire et concurrencé par les commentaires d’internautes, il importe de revenir sur le rôle que certains critiques – de profession ou non – ont joué pour formuler des règles de l’art en intelligence avec leurs auteurs de prédilection.

• Jeudi 10 décembre, 9h30-13h : Histoires, figures, objets (Théâtre des Abbesses).

Rémi Labrusse (Université Paris Ouest), président de séance

• Dominique Vaugeois (Université de Pau) : « L’écrivain critique d’art au XXe siècle : l’épreuve de la subjectivité. »

• Stephanie Marchal (Ruhr-Universität Bochum) : « De l’histoire de l’art à la construction d’un espace critique : exercices de réflexivité. »

• Giuliano Sergio (Accademia di Belle Arti di Urbino): « La critique face à l’art éphémère : interprétation, autocritique, document »,

• Cécile Sorin (Université Paris 8) : « Fonctions critiques de la parodie et du pastiche cinématographiques ».

• David Buxton (Université Paris Ouest) : « Genèse de la critique des séries télévisées en France ».

• Jean-Pierre Thibaudat (critique de théâtre), discutant : « Il n’y a pas d’objet étranger au critique ».

<=> [séance 2] Jeudi 10 décembre après-midi : Champs, instances et espaces.

En se spécialisant, la critique a contribué à délimiter différents champs disciplinaires au sein dans lesquels elle exerce ses prérogatives, ne serait-ce qu’en élisant les éléments dignes de son attention. Elle participe à l’arbitrage des conflits au sein de ces mondes de l’art, validant les choix esthétiques, établissant les réputations, soutenant telle audace ou soulignant tel échec. Les échelles de valeur qu’elle tend à consacrer sous la pression des professions, des puissances publiques et des marchés, et que reflètent aussi la hiérarchie de ses instances et de ses supports, (de la revue savante au blog personnel), sont aujourd’hui remises en cause par plusieurs phénomènes conjugués : l’éclatement du cadre national de référence, la multiplication des démarches transdisciplinaires, l’engouement pour les expériences participatives lancent autant de défis aux définitions en usage.

• Jeudi 10 décembre, 14h30-18h : Champs, instances et espaces (Théâtre des Abbesses).

Hervé Joubert-Laurencin (Université Paris Ouest), président de séance.

• Tania Brandao (Universidade Federal do Rio de Janeiro) : « Le théâtre de papier et la critique fantôme: formes de la critique théâtrale dans le Brésil contemporain. »

• Georges Banu (Université Paris 3), discutant : « Le spectateur-critique – ou l’ombre de la scène. »

• Claire Fagnart (Université Paris 8) : « De quelques discours sur la critique. Vers une post-critique? »

• Emmanuel Wallon (Université Paris Ouest) : « Pour une sociologie politique de la critique. »

• Timothée Picard (Université Rennes 2, IUF), discutant : « Discours sur la musique : des critiques en quête de légitimité. »

Discussion avec un groupe de doctorants.

<=> [séance 3] Vendredi 11 décembre matin : Écritures et procédés.

Selon les apparences, seule la critique littéraire partagerait avec son objet d’étude une identité de procédé : l’écriture. Il s’avère à l’examen que les discours sur l’art ont en fait bien des analogies (y compris de forme) avec les auteurs et les œuvres qu’ils commentent. La constante refonte de principes, de processus et de dispositifs dont la création contemporaine donne le spectacle n’engage-t-elle pas la critique à réinventer elle-même ses procédures ?

• Vendredi 11 décembre, 9h30-13h : Écritures et procédés (Théâtre des Abbesses).

Deolinda Catarina França de Vilhena (Universidade Federal da Bahia), présidente de séance.

• Isabelle Ginot (Université Paris 8) : « Danse : écrire ce qui échappe à la langue ».

• Claude Burgelin (Université Lyon 2) : « La critique littéraire désenchantée: perspectives après la bataille. »

• Jean-Michel Frodon (Sciences Po, University of St Andrews) : « La critique de cinéma et ses mauvais maîtres. »

• Michael Newman (Goldsmiths, University of London): « Writing in and as art: Coleman, Tuerlinckx, Vo. »

• Jean-Philippe Antoine, discutant (Université Paris 8) : « Dire la critique avec Broodthaers : retour sur Moule, muse, méduse et autres sirènes. »

Discussion avec un groupe de doctorants.

<=> [séance 4] Vendredi 11 décembre après-midi : Cadres, modèles, concepts.

Qu’elle en ait découlé dans son domaine d’application spécifique, ou qu’elle ait elle-même pris part à leur construction, la critique d’art a toujours entretenu des liens étroits avec des systèmes d’interprétation globale des faits historiques, économiques, politiques, sociaux ou culturels : le matérialisme dialectique, l’anthropologie structurale, la psychanalyse, la sociologie critique notamment. À la fin du XXe siècle, l’ébranlement de ces modèles a paru ouvrir la voie à l’élaboration de corps de doctrine indépendants, épousant de façon plus intime des objets qui relèvent de la perception sensible. Cela ne signifie pas pour autant que l’esthétique puisse se passer d’une confrontation avec des travaux théoriques qui, à la périphérie de son domaine, éclairent les transformations de la création et de ses modes d’appropriation.

• Vendredi 11 décembre, 14h30-18h : Cadres, modèles, concepts (Théâtre des Abbesses).

Antoine de Baecque (École normale supérieure), président de séance

• Anne Sauvagnargues (Université Paris Ouest) : « Blocs de sensations : les concepts de Gilles Deleuze à l’épreuve des environnements d’aujourd’hui. »

• Jacinto Lageira (Université Paris 1) : « Critique, criticisme et critique de la société. »

• Michel Deguy (poète, philosophe, Université Paris 8) : « Critique du culturel élargi / Ambition d’une poétique philosophique. »

• Philippe Ivernel (Université Paris 8), discutant : « Actualité critique de Walter Benjamin. »

Discussion avec un groupe de doctorants.

Samedi 12 décembre 2015 à l’Institut national d’histoire de l’art – Entrée libre

Auditorium de l’INHA, Galerie Colbert, 2 rue Vivienne, 75002 Paris. Métro Palais-Royal-Musée du Louvre (lignes 1 et 7), Bourse (ligne 3) ou Pyramides (lignes 7 et 14). Parking place de la Bourse.

<=> [séance 5] Samedi 12 décembre matin : Critique créative vs création critique.

Tandis qu’un nombre croissant d’artistes sortent des formations supérieures lestés d’un bagage théorique, les chercheurs s’aventurent plus souvent hors des amphithéâtres et des salles de colloques. Il arrive ainsi que les discours se croisent ou que les positions s’intervertissent, entre une critique savante qui met ses paradigmes à l’épreuve de la pratique et une création artistique nourrie d’ambitions critiques.

• Samedi 12 décembre (9h30-13h) : Critique créative vs création critique.

Christian Biet (Université Paris Ouest, IUF), président de séance.

• Stephen Wright (critique et théoricien de l'art contemporain) : « Pratiquer la théorie. »

• Agnès Gayraud (philosophe, musicienne et critique), « Faire de la pop contre elle-même. »

• Nicolas Bouchaud (comédien) : « L’exercice a été profitable, monsieur. »

• Nicolas Klotz & Elisabeth Perceval (cinéastes) : « Pour une critique filmée. »

• François Tanguy (metteur en scène) : Critique et utopie, lecture commentée de Walter Benjamin et Ernst Bloch.

• Fabienne Radi (artiste plasticienne et auteur) : « Oh là un titre ! » (lecture-performance avec projections).

Patrick Bouchain (architecte) et Emmanuel Wallon (Université Paris Ouest), discutants.

Ce programme est encore susceptible de modifications mineures.

Le colloque sera suivi d’une publication scientifique en 2016.

Entrée libre à toutes les séances dans la limite des places disponibles.

Pour les 10 et 11 décembre au Théâtre des Abbesses, réservation gratuite conseillée sur

www.theatredelaville-paris.com/rencontres-theatreouvertsurlaville-15

Parution : « Le vaudeville à la scène » Parution : « Dramaturgie du savoir vivre sous le Second Empire »