Le décès de Guy Rétoré

Disparition d’un pionnier du théâtre populaire.

Dans son ouvrage bilan « Quittez le Théâtre affamés de changements », Alain Françon eut la belle élégance de rappeler que le Théâtre National de la Colline qu’il avait dirigé de 1999 à 2009, avait pour fondement «  l’une des plus grandes aventures de la décentralisation théâtrale », celle initiée des décennies plus tôt, avec le TEP (Théâtre de l’Est Parisien) de Guy Rétoré.

Enfant de Ménilmontant, pendant l’occupation Guy Rétoré, qui veut échapper au STO (Service du Travail Obligatoire) instauré par Vichy, se fait engager à la SNCF où existe une forte tradition de théâtre amateur. Tombé dans la marmite théâtre, le jeune cheminot suit des cours d’art dramatique, fait quelques expériences de comédien, notamment sur le Boulevard, avant de réunir en 1950 une vingtaine de jeunes comédiens avec qui il fonde la Guilde. La troupe au statut d’amateur  propose ses spectacles dans les salles de patronage du vingtième arrondissement. En 1956 avec « La Vie et la mort du Roi Jean » de Shakespeare, sa renommée dépasse les frontières de Ménilmontant, outre le public, quelques édiles éditoriaux et ministériels dressent l’oreille. L’année suivante, Guy Rétoré décroche le Grand prix du concours des jeunes compagnies et, grâce à la dotation financière du prix, fonde dans une ancienne salle paroissiale de la rue du Retrait, le Théâtre de Ménilmontant. Pour le jeune chef de troupe dont le modèle esthétique et politique était le TNP de Jean Vilar, il s’agissait d’installer un théâtre populaire à Ménilmontant et d’appliquer les principes de la décentralisation qui se mettait en place en province. De 1957 à 1960, outre les spectacles, lui et sa troupe multiplient les rencontres dans les entreprises, les écoles, les débats avec le public et ne cessent « d’élargir le cercle des connaisseurs », ce qui lui donnera quelques munitions pour défendre auprès des pouvoirs publics l’idée d’un théâtre dans l’Est parisien. Ce sera en 1963, dans un ancien cinéma rue Malte Brun qu’André Malraux inaugure comme maison de la culture et que Guy Rétoré, qui y a déjà installé sa troupe, baptise le TEP (Théâtre de l’Est Parisien) qui deviendra Centre dramatique national en 1966 et Théâtre national en 1972.

Si le répertoire s’inscrit dans le courant brechtien du temps, c’est sans dogmatisme, de manière plus charnelle que cérébrale. « L’Opéra de quat ’sous » avec Arlette Téphany dans le rôle de Jenny des lupanars fera un véritable tabac et sera repris trois saisons de suite. C’est avec elle aussi qu’il signera un mémorable « Macbeth ». Outre Arlette Téphany, Jacques Alric, Victor Garrivier, Pierre Santini, Anne Doat, Gérard Desarthe qui fut notamment un étrange et inquiétant Lorenzaccio, participeront aux belles heures du TEP. A l’affiche, bien sûr, Brecht « Sainte Jeanne des abattoirs » qui lui valut le prix de la critique, «  Maître Puntila et son valet Matti » « La Résistible ascension d’Arturo Ui », mais aussi Shakespeare, Musset, Goldoni, Gogol, O’casey, Gorki, Claudel.

Soucieux d’élargir son public à partir d’un nouveau répertoire, il sera le premier à se soucier de ce qu’on appelle aujourd’hui le théâtre documentaire. Ce sera en 68 « Les 13 soleils de la rue Saint Blaise » d’Armand Gatti élaboré avec les habitants du quartier. Plus tard ce sera « Le Chantier » de Charles Tordjman, « Clair d’usine » de Daniel Besnehard, « Entre Passion et Prairie » de Denise Bonal. C’est aussi pour élargir le répertoire à des productions plus intimes et expérimentales qu’il transformera une laverie automatique en Petit TEP. Là on y verra entre autres, dans les mises en scène de Jacques Lassalle « Théâtre de chambre », « Dissident il va sans dire » de Vinaver et « Travail à Domicile » de Kroetz.

Lorsque fut enfin décidé de construire rue Malte Brun ce qui est aujourd’hui le Théâtre de la Colline, Guy Rétoré qui avait atteint son but de donner un théâtre national à l’Est parisien, se sachant proche de la limite d’âge imposée aux directeurs de théâtres nationaux, déclina l’offre d’en prendre la direction et préféra installer le TEP devenu compagnie indépendante, dans son ancienne salle de répétition avenue Gambetta. C’est à son corps défendant et poussé par le ministère qu’il le quittera en 2002, laissant orphelin ce public authentiquement populaire qu’il avait su si bien conquérir.

Dominique Darzacq

 

Nouvelles de l’AICT PRIX DE LA CRITIQUE – Palmarès 2017 / 2018