DISCOURS – CEREMONIE DE REMISE DES PRIX DE LA CRITIQUE 2023-2024

Merci beaucoup pour ce prix au « syndicat professionnel de la Critique théâtre, musique et danse ».

Ce livre paraît (sans l’avoir prémédité, il avait été écrit avant) l’année du centenaire de la naissance de Gatti, centenaire animé par l'infatigable et généreux militant Jean-Jacques Hocquard. Un centenaire qui n’est pas pensé comme une célébration mais plutôt comme une transmission. Parce que nous considérons qu’il y a dans cette œuvre poétique et théâtrale quelque chose d’inouï et une ressource incroyable pour penser autrement le théâtre qui se fait, celui qui va se faire. Autrement que comme le faire-valoir de la réalité, autrement que subordonné à la domination, autrement que réduit à ce qu’il semble, si souvent, devoir être. Un théâtre immense, avide de démesure. 

A ce titre, merci évidemment à Libertalia qui a accueilli ce livre et, à travers cette maison d’édition, merci à toutes celles qui ont l'inconscience de publier des livres sur le théâtre.

A ce propos, je voudrais dire un mot sur un autre livre, que j’ai eu l’honneur de co-éditer, celui de Jean Jourdheuil (je pensais qu’il aurait le prix) : Le théâtre, les nénuphars, les moulins à vent.

Pour trois raisons : parce qu’il y a là un ouvrage incomparable pour appréhender ce que le marché et l’Etat ont fait au théâtre — les analyses de Jourdheuil éclairent la catastrophe actuelle. 

Mais aussi, deuxième raison, parce que je souhaite parler de ce qui arrive. Le macronisme aura été, pour la culture et l’art, ce qu’il a été – et ce n’est hélas pas fini — pour les personnes migrantes, les chômeurs et les chômeuses, les précaires, les fonctionnaires, la jeunesse, etc. : un désastre.

On a évidemment des scrupules à employer des termes aussi forts que « carnage » ou « destruction » quand on pense aux crimes qui se commettent à cette heure, et ce matin encore, à Gaza, il faut donc savoir raison garder, mais il est nécessaire de prendre la mesure de l'entreprise macroniste de liquidation de « l’intérêt général » et, par exemple, du plan social en cours dans l’art et la culture, dont on va voir, très vite, les effets : des compagnies vont disparaître, des artistes vont perdre leurs droits au régime d’assurance chômage des intermittents, des labels sont dès maintenant en grande difficulté, le théâtre public est attaqué et on assiste au rétrécissement drastique et dramatique de la diversité esthétique au détriment, tout particulièrement, des esthétiques les plus minoritaires.

Et, enfin, de façon plus anecdotique, je voulais parler du livre de Jean Jourdheuil car c’est lui qui a dirigé il y a quelques décennies mon mémoire de maîtrise qui portait sur… Armand Gatti.  J’ai compris alors que, pour Gatti, à l’impossible « nous sommes tenu·e·s ». Et c’est grâce à Jourdheuil, à son exigence encourageante, que j’ai entamé cette si longue enquête pour tenter de découvrir les choses extraordinaires que Gatti exigeait que le théâtre accomplisse.

Ultime point : je voudrais associer au nom de Gatti le nom d’Hélène Châtelain qui a accompagné cette oeuvre, en plus de son travail à elle, somptueux, de traductrice et de cinéaste. J'aurais aimé avec elle aujourd’hui fêter l’hypothèse que Gatti ne soit pas seulement un nom du passé mais, aussi, celui d’un possible futur — utopie.

Olivier Neveux
Le 6 juin au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt

LAUREAT.E.S PRIX DE LA CRITIQUE 2023-2024 Discours d’introduction prononcé par la Présidente, Marie-José Sirach, à l’occasion du 61e palmarès des Prix du syndicat de la critique.