Le premier a été animé par Brigitte Rémer, secrétaire générale et Jean Couturier, membre du Comité, à propos du spectacle Vagabundus du chorégraphe mozambicain Idio Chichava, dansé par sa Compagnie, Converge +.
Après le spectacle, interprété par six danseuses et sept danseurs - Idio Chichava s’est prêté au jeu des questions-réponses lancées sur son travail, son itinéraire, son inspiration, son langage chorégraphique. Idio Chichava a commencé la danse en 2000 dans un groupe de danse traditionnelle puis s’est formé à la danse contemporaine avec différent.e.s chorégraphes dont Anne Teresa De Keersmaeker et Lia Rodrigues. Il est retourné travailler dans son pays, le Mozambique, il y a trois ans, après une quinzaine d’années passées en France. S’exprimant en français, il a été rejoint par les danseurs qui sont entrés dans le débat à la fin de la séquence. « Ce retour au Mozambique, c'était pour moi la possibilité́ d'être avec la communauté́ de danseurs et d’inventer avec eux une dynamique assez frénétique d'entrainement, de rencontres, de réflexion, de création… Il s'agissait aussi de répondre aux besoins de la danse au Mozambique en réfléchissant aux possibilités de l'institutionnaliser, de structurer le chemin d'un danseur professionnel » a-t-il dit.
Idio Chichava s’est exprimé sur le processus de création qu’il a mis en place à partir des chants et des musiques traditionnelles du pays, la particularité du groupe étant de produire ses propres rythmes et de chanter tout en dansant. Il s’inspire ici de la danse du peuple Makonde vivant au nord du Mozambique, une région qui a dû faire face à des attentats terroristes, et a construit avec les danseurs-chanteurs de la compagnie un langage corporel qui leur est propre. Dans Vagabundus s’entremêlent musiques, corps social basé sur les solidarités et les synergies, corps global comme il définit l’ensemble du groupe dont les interprètes forment un tout. Il parle de l’appel, de la perte de parole, de la course, de la lutte, de la transe. Dans le langage mis en place par le chorégraphe, chacun est à son tour un potentiel leader qui entraine les chœurs et psalmodies en décalés, rythmant les gestes. Le souffle, la prière expiatoire, la compassion, l’imploration, la théâtralisation s’inscrivent dans ce langage.
Les participants au débat ont posé des questions sur les objets symboliques et fétiches portés et apportés par les danseurs, éléments du quotidien comme tissu, panier, sac, corde, bout de bois, pneu. Idio Chichava et les danseurs se sont aussi exprimés sur les mouvements d’ensemble évoquant comme des embarcations, Vagabundus signifiant l’errance.
Le 8 juin, Delphine Goater, membre du Comité, Antonella Poli, vice-présidente pour le collège danse et Denis Sanglard, secrétaire général adjoint, ont pu échanger avec la chorégraphe d’origine argentine et résidente en Belgique, Ayelen Parolin à l’occasion de sa dernière création, Zonder, pour la clôture du festival June Events.
La chorégraphe, arrivée en Europe en 2000, réside à Bruxelles et développe son travail avec sa propre compagnie, Rudra. Zonder reprend certains éléments caractéristiques de son style : ironie et propos de déconstruction, animés par la volonté de critiquer notre société capitaliste. Les trois interprètes, espiègles, créent la rythmique de la pièce avec leurs entrées et sorties sur scène, leurs mouvements devenant des gestes irrespectueux des règles, presque instinctifs. La tension monte au fil de la performance, en arrivant à créer des moments qui rendent le public hésitant sur leur réalité. Ayelen casse les codes comme le font deux artistes sur scène en cassant deux portions du plateau.Les journalistes animant le bord de plateau ont évoqué le parcours artistique de l’artiste en discutant sur les points communs avec sa précédente création, Simple, également un trio, inspiré et plein d’ironie sur le langage de Merce Cunningham.Avec Zonder, Ayelen Parolin met en discussion une vision impérialiste de la société.Interrogée sur le choix musical employé dans la deuxième partie de la pièce, une valse de Strauss, symbole des fastes de l’Empire Austro-hongrois, elle a répondu que cette musique faisait partie de celles écoutées dans sa jeunesse, sans vraiment lui attribuer une vraie signification. Le public a suivi attentivement et est intervenu pour souligner la réussite de la pièce.
Prochaines dates :Bord de plateau : festival Radio France Occitanie Montpellier le 9 juillet Conversation critique : festival d’Avignon le 15 juillet à 17h30 au Café des Idées
Chères consœurs, chers confrères,
La situation politique que nous connaissons depuis dimanche 9 juin est inédite. L'extrême droite est désormais aux portes du pouvoir. Ses objectifs en matière de politique culturelle, de liberté de création et de liberté d'expression sont dangereux pour notre démocratie.
Face au risque que constituerait une assemblée où l'extrême droite serait majoritaire, nous appelons nos consœurs et confrères, critiques, journalistes, à rejoindre les manifestations du week-end du 15 juin.
Le Comité du Syndicat de la critique théâtre, musique et danse
Paris, le 13 juin 2024.
PRIX DU MEILLEUR COMÉDIEN dans Moman - Pourquoi les méchants sont méchants ? de Jean-Claude Grumberg, m.e.s de Noémie Pierre, Hervé Pierre et Clotilde Mollet
Encore une fois, je voudrais remercier l’ensemble du Syndicat professionnel de la critique de m’avoir honoré en me décernant ce prix. Comme je l’ai dit au moment de la remise du prix, cela récompense une aventure théâtrale précieuse par sa gravité et son humour. En ces temps de guerre, de retour du populisme et des forces réactionnaires l’écriture humaniste de Jean Claude Grumberg est plus que nécessaire.
Cordialement, Hervé PIERRE
Dim. 9 juin 2024, 09:30
Nous avons fêté le 61e Palmarès au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt le jeudi 6 juin 2024. Manifestation qui a su, au fil du temps, s’inscrire durablement dans la vie du spectacle vivant.
THÉÂTRE
GRAND PRIX (Meilleur spectacle théâtral de l’année)Le Voyage dans l’Est, de Christine Angot, adaptation et m.e.s de Stanislas Nordey
PRIX GEORGES-LERMINIER (Meilleur spectacle théâtral crée en province)Le Mandat, de Nicolaï Erdman, adaptation et m.e.s de Patrick Pineau (Création aux Célestins – Théâtre de Lyon)
PRIX DE LA MEILLEURE CRÉATION D’UNE PIÈCE EN LANGUE FRANÇAISECavalières, de Sarah Brannens, Karyll Elgrichi, Johanna Korthals Altes et Isabelle Lafon. Conception et m.e.s d’Isabelle Lafon
PRIX DU MEILLEUR SPECTACLE THÉÂTRAL ÉTRANGER (ex aequo)A Noiva e o Boa Noite Cinderela, de Carolina Bianchi (Brésil)
PRIX DU MEILLEUR SPECTACLE THÉÂTRAL ÉTRANGER (ex aequo)Les Émigrants, de W.G. Sebald, adaptation et m.e.s de Krystian Lupa (Suisse et France)
Stéphane Braunschweig, directeur du Théâtre de l'Odéon
PRIX LAURENT-TERZIEFF (Meilleur spectacle présenté dans un théâtre privé)Guerre, de Louis-Ferdinand Céline, m.e.s de Benoît Lavigne
PRIX DU MEILLEUR COMÉDIENHervé Pierre dans Moman - Pourquoi les méchants sont méchants ?, de Jean-Claude Grumberg, m.e.s de Noémie Pierre, Hervé Pierre et Clotilde Mollet
PRIX DE LA MEILLEURE COMÉDIENNENoémie Gantier dans L’Art de la joie, d’après l’œuvre de Goliarda Sapienza, adaptation et m.e.s d’Ambre Kahan
PRIX JEAN-JACQUES-LERRANT (Révélation théâtrale de l’année)Sébastien Kheroufi pour la m.e.s de Par les villages, de Peter Handke
PRIX DE LA MEILLEUR CRÉATION D’ÉLÉMENTS SCÉNIQUESEmmanuelle Roy pour la scénographie de Neige, de Pauline Bureau
Pauline Bureau
PRIX DU MEILLEUR LIVRE SUR LE THÉÂTREArmand Gatti, théâtre-utopie, d’Olivier Neveux. Ed. Libertalia
PRIX DU MEILLEUR COMPOSITEUR DE MUSIQUE DE SCÈNEReinhardt Wagner pour la musique de Zazie dans le métro, de Raymond Queneau, m.e.s de Zabou Breitman
MENTION SPÉCIALEUne maison de poupée, d’Henrik Ibsen, m.e.s d’Yngvild Aspeli (Marionnettes)
© Kristin Aafløy Opdan
MUSIQUE
GRAND PRIX DU MEILLEUR SPECTACLE DE L'ANNÉEGuercœur, d’Alberic Magnard, m.e.s de Christof Loy et dir. mus. d’Ingo Metzmacher
PRIX CLAUDE-ROSTAND (Meilleure coproduction lyrique régionale et européenne)Picture a day like this, création de George Benjamin au Festival d’Aix-en-Provence
Marie-Christine Soma et Daniel Jeanneteau
PRIX DE LA MEILLEURE SCÉNOGRAPHIERheingold, de Richard Wagner à Bruxelles, m.e.s et scénographie de Romeo Castellucci
Peter De Caluwe, directeur général et artistique de la Monnaie
PRIX DE LA CRÉATION MUSICALE (hors opéra)Le Chant de la terre, de Laurent Cuniot par l'ensemble TM+
PERSONNALITÉ MUSICALE DE L'ANNÉELéa Desandre, mezzo-soprano
© Julien Benhamou
RÉVÉLATION MUSICALE DE L'ANNÉEClaire de Monteil, soprano
MEILLEUR LIVRE DE L'ANNÉEJules Massenet, de Jean-Christophe Branger. Ed. Fayard
MEILLEURE INITIATIVE POUR LA DIFFUSION MUSICALE (répertoires et publics)La Co[opéra]tive pour son travail de diffusion et de mise en avant des jeunes chanteurs.
Ella Berkovich, directrice de production
DANSE
GRAND PRIX - MEILLEUR SPECTACLEBlack Lights, de Mathilde Monnier
MEILLEURE COMPAGNIENederlands Dans Theater I
Emmanuel Demarcy-Mota
MEILLEUR INTERPRÈTE Hugo Layer (CCN-Malandain Ballet Biarritz)
Yves Kordian, directeur délégué du CCN-Malandain Ballet Biarritz
RÉVÉLATION CHORÉGRAPHIQUE Anna Chirescu
MEILLEURE PERFORMANCE Invisibili, d’Aurélien Bory
PERSONNALITÉ CHORÉGRAPHIQUE Noé Soulier, chorégraphe et directeur du CNDC d'Angers
Marion Coléter, directrice-adjointe du CNDC d’Angers
MEILLEUR LIVRESo Schnell - Dominique Bagouet, de Raphaël de Gubernatis(collection Chefs-d’œuvre de la danse, dirigée par Philippe Verrièle), Nouvelles éditions Scala/Micadanses
MEILLEUR FILMResilient Man, de Stéphane Carrel, Flair Production
Le visuel du diplôme a été crée par Léa Jézéquel et David Bobée
Photos des lauréat.e.s © Jean CouturierSauf pour Lea Desandre photographie © Julien BenhamouAurélien Bory photographie © Aglae Bory et Ingvild Aspelli photographie © Kristin Aafløy Opdan
Discours d'Olivier Olivier Neveux PRIX DU MEILLEUR LIVRE SUR LE THÉÂTRE pour Armand Gatti, théâtre-utopie. Ed. Libertalia
Merci beaucoup pour ce prix au « syndicat professionnel de la Critique théâtre, musique et danse ».
Ce livre paraît (sans l’avoir prémédité, il avait été écrit avant) l’année du centenaire de la naissance de Gatti, centenaire animé par l'infatigable et généreux militant Jean-Jacques Hocquard. Un centenaire qui n’est pas pensé comme une célébration mais plutôt comme une transmission. Parce que nous considérons qu’il y a dans cette œuvre poétique et théâtrale quelque chose d’inouï et une ressource incroyable pour penser autrement le théâtre qui se fait, celui qui va se faire. Autrement que comme le faire-valoir de la réalité, autrement que subordonné à la domination, autrement que réduit à ce qu’il semble, si souvent, devoir être. Un théâtre immense, avide de démesure.
A ce titre, merci évidemment à Libertalia qui a accueilli ce livre et, à travers cette maison d’édition, merci à toutes celles qui ont l'inconscience de publier des livres sur le théâtre.
A ce propos, je voudrais dire un mot sur un autre livre, que j’ai eu l’honneur de co-éditer, celui de Jean Jourdheuil (je pensais qu’il aurait le prix) : Le théâtre, les nénuphars, les moulins à vent.
Pour trois raisons : parce qu’il y a là un ouvrage incomparable pour appréhender ce que le marché et l’Etat ont fait au théâtre — les analyses de Jourdheuil éclairent la catastrophe actuelle.
Mais aussi, deuxième raison, parce que je souhaite parler de ce qui arrive. Le macronisme aura été, pour la culture et l’art, ce qu’il a été – et ce n’est hélas pas fini — pour les personnes migrantes, les chômeurs et les chômeuses, les précaires, les fonctionnaires, la jeunesse, etc. : un désastre.
On a évidemment des scrupules à employer des termes aussi forts que « carnage » ou « destruction » quand on pense aux crimes qui se commettent à cette heure, et ce matin encore, à Gaza, il faut donc savoir raison garder, mais il est nécessaire de prendre la mesure de l'entreprise macroniste de liquidation de « l’intérêt général » et, par exemple, du plan social en cours dans l’art et la culture, dont on va voir, très vite, les effets : des compagnies vont disparaître, des artistes vont perdre leurs droits au régime d’assurance chômage des intermittents, des labels sont dès maintenant en grande difficulté, le théâtre public est attaqué et on assiste au rétrécissement drastique et dramatique de la diversité esthétique au détriment, tout particulièrement, des esthétiques les plus minoritaires.
Et, enfin, de façon plus anecdotique, je voulais parler du livre de Jean Jourdheuil car c’est lui qui a dirigé il y a quelques décennies mon mémoire de maîtrise qui portait sur… Armand Gatti. J’ai compris alors que, pour Gatti, à l’impossible « nous sommes tenu·e·s ». Et c’est grâce à Jourdheuil, à son exigence encourageante, que j’ai entamé cette si longue enquête pour tenter de découvrir les choses extraordinaires que Gatti exigeait que le théâtre accomplisse.
Ultime point : je voudrais associer au nom de Gatti le nom d’Hélène Châtelain qui a accompagné cette oeuvre, en plus de son travail à elle, somptueux, de traductrice et de cinéaste. J'aurais aimé avec elle aujourd’hui fêter l’hypothèse que Gatti ne soit pas seulement un nom du passé mais, aussi, celui d’un possible futur — utopie.
Olivier NeveuxLe 6 juin au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt
Chères et chers ami.e.s,Nous nous réjouissons, que l’on soit critique, artiste, technicien, permanent, intermittent, attachée de presse, de nous retrouver pour cette 61ème cérémonie des Prix du syndicat de la critique.Ces prix témoignent de la vitalité de la création et du formidable engagement de mes consoeurs et confrères à veiller à ce que la critique ne se confonde pas avec promotion mais reste cet endroit où la pensée est à l'œuvre, où le doute à droit de cité.La critique, c’est aller plusieurs fois par semaine à la rencontre d'œuvres originales; défendre l’idée qu’au théâtre, à l’opéra, c’est l’humanité qui se donne à voir dans des mises en scène parfois tourmentées, exaltées, provocatrices qui interrogent notre monde. Vous n’êtes pas là pour nous divertir ou nous faire détourner le regard. C’est un face à face que vous nous proposez.
Être critique, c’est suivre des pistes, des chemins qui ne filent pas toujours droit et essayer d’en rendre compte en se souvenant du passé, en pensant à l’avenir et en conjuguant le présent.
C’est aimer les artistes, les acteurs, les musiciens, les danseurs, les metteurs en scène, les chorégraphes, les poètes, les dramaturges. Les aimer, c’est les suivre, ne pas les oublier.
Être critique, c’est aimer les mots, les corps en mouvement, une partition et se laisser emporter par le vertige qu’ils procurent.
Être critique, c’est aussi aimer la nuit. Bien souvent, la lumière jaillit de la nuit, ce lieu où tout est encore possible entre nous
Artistes, vous nous invitez au voyage et nous, critiques, sommes les chroniqueurs de ces voyages que nous nous efforçons de faire partager.
Je pourrais vous dire que nous traversons une période de fortes turbulences. Il y a des trous d’airs dans la démocratie; des trous d’air dans ce qui fait société. Chez Air France, on nous dirait de retourner à nos places et de boucler nos ceintures ! Nous sommes là pour nous souvenir que quand le trou d’air se fait sentir, il faut rester debout et ensemble. Parce que, j’en suis convaincue, le « nous » est toujours plus fort que le « je ».
D’aucuns aimeraient cantonner la culture au divertissement. Renoncer à faire partager les œuvres de l’esprit au plus grand nombre, c’est renoncer à ce grand service public de la culture qui est un des piliers de notre démocratie. C’est mépriser les artistes, les spectateurs et les spectateurs en devenir.
Nous continuons de cultiver l’exception culturelle, cette exception si chère à Jack Ralite et à toutes celles et tous ceux qui l’ont vaillamment défendu avant nous.
En saluant votre travail, votre engagement, ces prix que nous nous allons vous remettre aujourd’hui en témoignent.
Le 6 juin 2024 au Théâtre de la Ville-Sarah BernhardtPhoto : Jean Couturier