TÉMOIGNAGES BOURSIERS ET STAGIAIRES 2024 FESTIVAL AVIGNON (THÉÂTRE ET DANSE) & FESTIVAL RADIO FRANCE OCCITANIE MONTPELLIER (MUSIQUE) CALLYSTA CROIZER, critique théâtre et danse pour Les Échos et Mouvement Si la métamorphose de la Cité des Papes en Ville-Théâtre est un phénomène bien connu, le Festival d’Avignon a pris cette année un départ bien agité. Outre l’anticipation atypique de l’événement – JO obligent –, le bal des spectacles s’est ouvert dans un climat de tensions démocratiques, catalysées par une montée de l’extrême droite en France et des élections législatives précipitées. Aux premières voix sur les planches ont donc succédé les premières voix dans les urnes. Puis entre les deux scrutins, artistes, militantes et militants, spectateurs et spectatrices ont fait front commun une nuit durant sur la scène de la Cour d’honneur. Suivant les événements de loin, je me demandais bien quelle tournure prendrait le Festival le lundi 8 juillet 2024, au lendemain du second tour des élections. Fort heureusement, la nuit précédant mon départ, l’angoisse avait laissé place au soulagement dans les remparts. Et la place forte du spectacle vivant, prête à entrer en résistance, devait encore dévoiler son programme de réjouissances.Troubles à part, avec un seul « Avignon » à mon compteur, il était certain que ce festival serait pour moi bien différent du précédent. L’année dernière, en tant que journaliste stagiaire dans un projet du Festival, j’avais eu la chance d’être logée gracieusement à proximité du centre-ville et d’écrire sur une quinzaine de spectacles – Festival et Off confondus – pour Les Échos. À la rentrée suivante, mes contributions sur le théâtre et la danse se sont poursuivies avec cette rédaction, puis étendues à Mouvement et Springback Magazine. Cependant, renouveler l’expérience « Avignon » en tant que jeune journaliste indépendante signifiait assumer seule le coût exorbitant du séjour. La bourse du Syndicat professionnel de la critique de théâtre, musique et danse a donc joué un rôle déterminant dans la concrétisation de ce projet. Le soutien que j’ai eu l’honneur de recevoir m’a permis de parcourir de long en large et pendant dix jours la 78e édition imaginée par Tiago Rodrigues. Dans la ville en effervescence, les propositions artistiques atteignent une densité sans pareille. Pour autant, je suis restée une festivalière « mesurée », en assistant à dix-huit spectacles, majoritairement dans le Festival, tous mêlant théâtre, danse et performance. L’étalement de la programmation m’a permis de découvrir plusieurs pièces sur le tard, dont Hécube, pas Hécube de Tiago Rodrigues et Sea of silence de Tamara Cubas. C’est dans la deuxième partie des festivités que je me suis la plus aventurée. J’en ai surtout retenu deux pièces bouleversantes, Soliloquio (me desperté y me golpeé contra la pared) et Waqeycuna, portées par l’artiste queer argentin Tiziano Cruz, mais aussi Reminiscencia, la cartographie politico-intime de Malicho Vaca Valenzuela. Sur les huit critiques rédigées pour Les Échos et Mouvement au cours des dix jours, sept ont été publiées dans la foulée – la dernière paraîtra à la rentrée. Or, dans la temporalité condensée du Festival, écrire pour plusieurs médias devient un exercice périlleux. Il faut redoubler d’habileté, de tact et de rigueur pour jongler entre les styles rhétoriques, les formats et les délais de rédaction. La réflexion analytique en est à la fois hyper-stimulée et mise à l’épreuve : l’écriture commence in medias res, voire dans l’urgence, accompagnée par l’insatisfaction ou la frustration de devoir poser des mots sur des intuitions, sans leur laisser le temps de décanter. Aussi inconfortable qu’il soit, cet écartèlement symptomatique de la critique creuse un sillon fécond pour questionner sa pratique, avec exigence, curiosité et humilité.Le cadre du festival nourrit alors des nombreuses réflexions collectives. Au cours des dix jours, j’ai eu la chance de rencontrer plusieurs confrères et consœurs journalistes et critiques. Les débats ouverts au Café des idées, notamment lors des matinales animées par Zineb Soulaimani, se sont souvent prolongés dans les cafés du centre-ville par des discussions conviviales et fructueuses. Outre la confrontation des analyses des pièces de chacune et chacun, les conversations ont aussi abordé des sujets transversaux, dont le rôle de la critique, les dilemmes auxquels elle nous confronte et les multiples façons de la mettre en pratique.Je tiens à exprimer ma profonde gratitude au Syndicat de la critique, qui m’a accordé les moyens de prendre part une seconde fois à cette expérience singulière qu’est le Festival d’Avignon. Ce temps précieux au cœur de l’événement m’a permis de grandir intellectuellement et a conforté mon enthousiasme à écrire sur le spectacle vivant. Mon seul regret pour ce passage avignonnais est de n’avoir pu participer aux conversations critiques. Appelée à couvrir la première d’une pièce du Festival, j’ai manqué l’occasion de me confronter à cet exercice dont je suis encore peu familière. Qu’à cela ne tienne. Il me tarde déjà de revenir en juillet prochain ; de retrouver le chant des cigales et les trompettes de Maurice Jarre ; de saisir à nouveau la plume, et bientôt la parole. Critiques publiées :Mouvement Magazine https://mouvement.net/l-opera-de-clowns-du-baro-d-evel-au-festival-d-avignon https://www.mouvement.net/scenes/tiran-willemse-les-paradoxes-de-la-ballerine https://www.mouvement.net/dormir-a-l-ombre-briller-sous-les-projecteurs-le-recit-de-vie-de-redwane-rajel https://mouvement.net/scenes/gwenael-morin-don-quichotte-facon-diy Les Échos https://www.lesechos.fr/weekend/spectacles-musique/avignon-2024-tiziano-cruz-un-cri-pour-reparer-les-vivant-2107913 https://www.lesechos.fr/weekend/spectacles-musique/avignon-2024-leviathan-la-justice-en-examen-2108449 https://www.lesechos.fr/weekend/spectacles-musique/avignon-2024-elizabeth-costello-au-loin-dans-la-cour-dhonneur-2108396 PETER AVONDO, critique théâtre et danse, fondateur du magazine Snobinart, collabore avec L’Œil d’Olivier Depuis que j’exerce le métier de critique, le Festival d’Avignon me lorgne du haut de ses remparts… À moins que ce ne soit le contraire ! Toujours est-il que, comme nous apprivoisant l’un l’autre pour créer une forme de relation entre deux entités, il y avait déjà deux ans que nous nous côtoyions de loin avant cette 78e édition. En 2022, pas encore de “In” pour moi. La bête est gigantesque, je n’y connais personne et je m’estime trop jeune, trop illégitime… C’est vrai, après tout, quel droit ai-je de venir mettre les pieds dans le plat de la Cour d’honneur, moi qui ai encore toute ma culture du spectacle vivant à (re)construire, avec mon petit magazine Snobinart sous le bras à peine âgé d’un an au moment des faits ? Allez, passe pour cette fois, on se contentera de quelques découvertes aléatoires dans les théâtres du Off. L’avantage avec Avignon, c’est que, si on le laisse faire, le festival revient chaque année. Direction 2023, donc, là où les choses commencent sensiblement à bouger. Non seulement j’ai appris à prendre confiance en ce que j’écris – les retours que je reçois à ce propos aident, à n’en pas douter –, et les rencontres que j’ai pu faire les quelques mois qui ont précédé me confortent dans cette voie. En mai de cette année, je suis parti grâce au Syndicat au stage pour jeunes critiques organisé par l’AICT à Varna, en Bulgarie. À mon retour, j’ose enfin : le Festival d’Avignon m’ouvre légèrement les bras, j’assiste à mes premiers spectacles dans la Cour d’Honneur, au Cloître des Célestins ou à la Carrière de Boulbon. La chose n’est pas aisée, je fais encore les trajets en voiture depuis Montpellier, tôt le matin et tard le soir… L’an prochain, c’est décidé, je fais Avignon correctement ! Et nous voilà donc à l’orée de cette 78e édition, celle qui, dans la programmation de Tiago Rodrigues, accueille la langue espagnole comme invitée d’honneur. Quelques semaines avant les premières représentations, le directeur annonçait aussi la présence du chorégraphe Boris Charmatz en tant qu’artiste complice. Voilà qui tombait bien, je venais de le rencontrer quelques semaines plus tôt pour une interview ! Pour la première fois, j’ai l’impression de ne pas être parachuté par hasard au cœur du festival. Ça y est, les noms des artistes invités ne me sont plus totalement inconnus, et je viens de recevoir, en témoignage du soutien de mes confrères et consœurs, cette bourse qui me permettra de faire face à certains frais et qui devrait m’éviter les innombrables et épuisants trajets depuis Montpellier. Avignon, me voici pour de bon, et cette année je pars à ta rencontre pour Snobinart, ainsi que pour L’Œil d’Olivier avec qui je travaille depuis quelques mois déjà. Et il faudrait maintenant que je me contente de quelques lignes pour résumer une édition ô combien riche et variée ? Qu’en dire ? D’abord que cette édition a commencé pour moi bien avant ma première représentation, l’ombre des propos d’Angélica Liddell planant dans toutes les conversations depuis le premier soir alors que je n’étais même pas encore arrivé dans la Cité des papes ! Moi qui pensais débuter mon festival avec l’épatant travail de Séverine Chavrier à La FabricA… Mais il faut croire que de la polémique ou de l’artistique, il est difficile à Avignon de distinguer lequel est le plus important. Je tenterai pourtant de maintenir mon cap. Je suis ici pour donner de l’écho aux artistes, et c’est en parlant de leur travail qu’il me semble plus pertinent de le faire. Alors je retrouve avec joie Gwenaël Morin, Mariano Pensotti et Tiago Rodrigues. Je rencontre les univers sensibles et esthétiques de Lorraine de Sagazan, de Noé Soulier ou de Krzysztof Warlikowski. J’ai le sentiment de découvrir quelques pépites avec Gabriel Calderón ou Malicho Vaca Valenzuela. Et même si je reste dubitatif face aux propositions de Caroline Guiela Nguyen ou Yinka Esi Graves, ce sont précisément toutes ces expériences, couplées aux quelques rares incursions que j’ai pu faire dans le Festival Off Avignon, qui viennent alimenter le récit d’une édition sous le signe de la curiosité. Reste le regret de ne pas en avoir vu davantage dans les deux festivals, mais quelque chose me dit que c’est un sentiment qu’il faudra apprendre à apprivoiser… ce que je tenterai dès l’année prochaine ! En attendant, je vous invite à revivre mon épopée avignonnaise version 2024 avec les papiers parus durant cette édition : Festival d’Avignon « Absalon, Absalon ! », portrait d’un homme, d’un pays, d’une société (Snobinart) “LACRIMA” de Caroline Guiela Nguyen, le diable s’habille en Béliana (L’Œil d’Olivier) Liddell désacralise tout dans « DÄMON – El funeral de Bergman » (Snobinart) « Sea of Silence » et « Liberté Cathédrale », Avignon au chœur (Snobinart) « Hécube, pas Hécube » ou la nécessité de faire théâtre (Snobinart) « Léviathan », Lorraine de Sagazan dans les méandres judiciaires (Snobinart) Gwenaël Morin imagine un « Quichotte » en carton (Snobinart) « Une Ombre vorace » à taille humaine pour Mariano Pensotti (L’Œil d’Olivier) « Elizabeth Costello » et « Reminiscencia », des images et des mots (Snobinart) « Història d’un senglar » ou le théâtre pour les nuls (L’Œil d’Olivier) « Close Up » et « The Disappearing Act. », Avignon danse l’invisible (Snobinart) Avec « Terminal (L’État du Monde) », désirer pour mieux rêver (Snobinart) Festival Off Avignon Sous le soleil bleu du « Tropique du Képone » (Snobinart) Avec « Tendre Carcasse », Arthur Perole défend le droit de soi (Snobinart) « Betty devenue Boop », le conte des laissés pour compte (Snobinart) Le « Cadeau » surprise de Paul Courlet dans la Sélection Suisse (L’Œil d’Olivier) « Go! », un récit d’apprentissage par les arts martiaux (Snobinart) CHLOË ROUGE, critique musical pour Altamusica Dans la grande salle Berlioz ou à l’auditorium Pasteur du,Corum, au milieu des Soulages du Musée Fabre ou dans le théâtre Jean-Claude Carrière du Domaine d’O, j’ai pu écouter et couvrir pour Altamusica une partie de la programmation du Festival Radio France Occitanie Montpellier . La bourse du Syndicat de la critique (Théâtre, Musique et Danse) m’a donné la possibilité de me déplacer et de me loger dans cette ville vivant au rythme de la musique et des cigales. La première impression que je retiens de cet événement culturel, ce sont plus de 8000 personnes, place de l’Europe, embarquées dans l’univers de la musique de film. Mon concert coup de coeur, c’est sans aucun doute Nicolas Baldeyrou jouant Boulez, Denisov et Zavaro au sein de la collection Outres-noirs de Soulages. Entre temps, il y a eu un Daphnis et Chloé riche de couleurs orchestrales variées par Louis Langrée à la tête des Siècles.Dommage que le bord de scène avec le chef et le public, prévu après ce concert, n’ait pas eu lieu. Être lauréat de la bourse du Syndicat et couvrir un festival aussi intense que celui de Radio France Occitanie Montpellier, c’est être assez curieux pour écouter jusqu’à trois concerts par jour et garder l’oreille attentive et concentrée pour écrire sur un ou deux d’entre eux. C’est accepter de se plonger dans des univers musicaux variés — récital de piano, musique de chambre, répertoire d’orchestre symphonique —, de passer de Beethoven à Boulez et de rédiger tout ça à la fois. Cette épreuve, de taille, m’a projetée dans un nouveau rythme d’écriture à la fois stimulant et formateur. J’ai décidé de garder l’idée de ne jamais écrire mes articles le jour du concert et de laisser passer une nuit avant la rédaction. En suivant ce cap, mes journées étaient donc riches de temps musicaux, d’échanges avec des musiciens puis de périodes d’écritures.Je regrette l’annulation de la Conversation critique qui avait pour objectif d’ouvrir une discussion entrele public et les critiques de concert ; moment dont je me réjouissais parce qu’il effectuait un changement de média et parce qu’il promettait une rencontre avec mes collègues rédacteurs pour d’autres journaux.Ceci étant, je remercie le Syndicat de la critique pour l’opportunité qui m’a été offerte. Passer une semaine dans un festival de musique aussi riche et varié que celui de Radio France Occitanie Montpellier, c'est non seulement une chance inestimable pour un jeune critique, mais aussi une véritable immersion dans un univers artistique vibrant, où chaque instant nourrit l’oreille et la plume. Chloë RougeLes Siècles, Louis Langrée, Renaud Capuçon, Ma Mère l’Oye, Daphnis et Chloéhttp://www.altamusica.com/concerts/document.php?action=MoreDocument&DocRef=7348&DossierRef=6775Orchestre Philharmonique de Radio France, Mikko Franck, Symphonie n°4, Kindertotenliederhttp://www.altamusica.com/concerts/document.php?action=MoreDocument&DocRef=7350&DossierRef=6777Nicolas Baldeyrou, Boulez, Bach, Zavarohttp://www.altamusica.com/concerts/document.php?action=MoreDocument&DocRef=7355&DossierRef=6782Evgeny Kissin, Beethoven, Chopin, Brahms, Prokovievhttp://www.altamusica.com/concerts/document.php?action=MoreDocument&DocRef=7356&DossierRef=6783 STAGIAIRES AICT - Association internationale des critiques théâtre soutenus par le syndicat de la critique Festival « Theatre World Brno » (TWB), en République tchèque Œdipe complet, kitsch ou double Mathis Grosos (France) Quoi de plus camp que la mythologie grecque ? Tout dans ces tragédies d'une impossible démesure peut être détourné à loisir – ainsi que le fait le camp , pratique et esthétique liée à la culture gay –, si bien que le solennel prend des airs risibles. C'est là la question qui anime cette trilogie autour d'Œdipe, quelque part entre le feuilleton, le théâtre immersif et la danse. La pièce s'empare d'un jardin, celui de la Villa Löw-Beer au cœur de Brno, comme un clin d'œil à cette tradition de la représentation antique en plein air. Il faut dire que de l’air, la compagnie n’en manque pas. Il y a pourtant quelque chose de juste dans ce spectacle qui flirte avec le mauvais goût. Le Roi Laïus qui offre son nom à la première partie, écrit par Hana Lehečková et mise en scène par Zuzana Burianová, fulmine au volant-moumoute d'un tracteur-tondeuse pendant que Jocaste lui raconte des salades (grecques). Affublé d'une casquette-visière qui lui sert de couronne, le souverain porte le drapeau grec des pieds à la tête comme un goodie bon marché.Confiné dans le jardin de sa villa, le couple cumule les commandes en ligne, à défaut de pouvoir affronter le Sphinx dont le cri résonne au loin. Bien vite, l'intrigue se détourne de cette comédie domestique aux accents vaudevillesques et affirme avec le texte de Sophocle un virage plus politique. Dans cette agora dont on teste massivement les citoyens du fait de cette épidémie de peste qui prend des airs de COVID, le conflit se fait plus verbeux. Mais Ivo Kristián Kubák qui met en scène ce second pan d' Œdipus Complete cultive aussi ce goût pour le décalage, du gel hydroalcoolique en guise d'eau bénite au t-shirt « Stay real » du héros (amour de l'authenticité ou du pouvoir, selon la traduction). Il en va de même pour cette partition qui sublime aussi bien les montées en tension que les karaokés impromptus ponctuels des cris d'un Tirésias en pleine descente. Œdipe qui a quitté ses parents pour éviter le parricide annoncé par l'oracle (une application quelque part entre intelligence artificielle et domotique) laisse éclater sa colère dans de longs tours de tracteur-tondeuse.Mais partout, du balcon de la villa au cabanon de la cour, la fatalité menace ce souverain colérique. Et c'est sans doute ici le tour de force de cette mise en scène so-(lou)phocle : faire du kitsch une porte d'entrée vers des drames invraisemblables pour y apporter une cohérence esthétique. Avec ce parti-pris où le trop devient la norme, les revers de la fortune s'avèrent plausibles. Tant et si bien que la dernière partie dansée dans les abysses de Marie Nováková et Václav Kuneš révèle la profondeur insoupçonnée de cette trilogie. Œdipe, à jamais aveuglé, n'y inspire plus le rire. Et c’est sans doute là le plus grand bouleversement de cette intrigue. Dans cette aventure qui tutoie gaiement le ridicule, on ménage un espace pour d'heureux accidents. Un tracteur-tondeuse en panne, un décor qui chavire… C'est le réel qui se plie à cette fiction capricieuse. Avec une telle proposition, la mesure peut bien aller se faire voir chez les Grecs. Du 21 au 24 mai 2024, j’ai eu la joie et l’honneur de participer au stage organisé par l’AICT/IATC dans le cadre du festival « Theatre World Brno » (TWB), en République tchèque. En tant que jeune critique, cette expérience représentait une chance inédite d’ouverture à de multiples dimensions du champ théâtral. D’abord en termes géographiques : le stage était organisé autour de deux groupes, l’un anglophone – composé de douze participants et participantes ayant voyagé depuis la Géorgie, la Grèce, la Finlande ou encore des États-Unis – et l’autre francophone – dont les cinq stagiaires, venaient de France, de Pologne et du Québec.C’est avec ce deuxième groupe, conduit par la critique française Caroline Châtelet, que j’ai participé au stage et découvert le TWB. Affichant une programmation éclectique et pluridisciplinaire, le festival déployait le théâtre dans des dimensions élargies : au cours la semaine à Brno, nous avons découvert des performances in situ, des spectacles de danse et de marionnettes, présentés par des artistes tchèques et internationaux. Être en contact avec une telle diversité de propositions artistiques en un temps court constitue une expérience précieuse. Cependant cette diversité, outre les aléas communication linguistique qu’elle engendre – notamment lors de deux spectacles en langue tchèque, l’un avec un sous-titrage défaillant, l’autre, seulement un résumé écrit en anglais –, rendait difficile l’identification d’une cohérence artistique.À l’étage du Théâtre Reduta où nous nous retrouvions entre stagiaires francophones, Caroline Châtelet a d’emblée installé dans le groupe une horizontalité permettant à chacun et chacune d’exprimer librement ses réflexions, de les interroger, les faire dialoguer et ainsi les enrichir. Les temps d’échanges ont permis d’aborder des questions transversales relatives à la pratique d’écriture et à ses conditions d’exercice dans nos différents contextes, mais aussi de débattre au sujet des huit spectacles du festival auxquels nous avons assisté. Au-delà des sessions de travail, nos pensées critiques faisaient aussi leur chemin jusque dans les rues de Brno, où le temps d’un trajet entre deux lieux de représentations, nous profitions de discussions informelles et multilingues avec l’ensemble des stagiaires pour accueillir davantage de points de vue. Tous ces échanges féconds ont abondamment nourri mon travail de rédaction personnel. Outre les rencontres avec les membres de l’équipe du festival, notre groupe de stagiaires a retrouvé celui des participants et participantes du Congrès mondial et de l’Assemblée générale 2024 de l’AICT/IATC, organisés dans le cadre du TWB. À cette occasion, nous avons pu assister à une partie du colloque intitulé « “La vérité” dans le monde kafkaesque (du théâtre) : Tragique ou comique ? » et discuter avec des professionnels de la critique et du théâtre à l’international. Participer à ce rendez-vous a contribué à élargir notre champ de vision et d’analyse des scènes théâtrales. Il a été d’autant plus apprécié que ce genre d’événements reste rare. Mais mis bout à bout, la multiplication des activités dans le programme du stage divisait le temps dévolu à la pratique critique en elle-même. Si l’écriture en pointillé fait partie du quotidien des journalistes, j’espérais que ce stage offrirait un cadre privilégié pour prendre le temps – aussi limité soit-il – de la réflexion dans un contexte de déplacement. Pour l’heure, cette expérience unique aura permis de semer de nombreuses graines de pensée et de tisser des amitiés transeuropéennes et transatlantiques, que le temps long verra s’épanouir. Article The Ratcatcher, ou le théâtre fait comme un rat Callysta Croizer (France) « Une opération de dératisation vire au kidnapping d'une centaine d'enfants » : il ne s'agit pas d'un fait divers contemporain, mais de l'histoire de The Ratcatcher [L'attrapeur de rats], variation marionnettique sur Le joueur de flûte de Hamelin . Pour revisiter ce conte allemand du XIIIe siècle , le metteur en scène Patrick Sims – directeur artistique de la compagnie française Les Antiaclastes – fait tenir tout le village dans une maison de poupée en bois coupé à la verticale. À l'intérieur de ce château à hauteur d'hommes, les rats (en peluche) se faufilent en cachette dans les cuisines miniatures et la plomberie, mus par de petites mains opérant dans l'ombre. Prenant l'art de la manipulation dans tous ses états, la pièce explore des zones de troubles et mises en abyme, du littéral au méta-théâtral. La légende germanique veut que le village soit sauvé par les charmes d'un flûtiste, qui conduit les indésirables tout droit à la noyade.Mais, sa tâche accomplie, face à l'ingratitude du maire et des habitants, le musicien subjugue les enfants du coin, qui disparaissent à jamais. Alors qui dans cette histoire est le nuisible à exterminer ? Et qui a la situation en main ? Car devant leur terrain de jeux, les marionnettistes manipulent aussi un personnage du conte, en version mi-anthropo, mi-zoomorphe. L'une, villageoise en costume bavarois à tête de souris, veille sur ses rongeurs comme sur ses baigneurs, tandis qu'un homme-blatte, vêtu d'une veste en patchwork de cravates bariolées fait la chasse aux puces. Le maire (faux sosie de Saint Pierre avec son aube monacale et sa clé en main) tend des oreilles de félin pour magouiller avec le joueur de flûte, lui masqué tel un Mickey Mouse horrifique. Si l'articulation entre pantomime et musicalité à tout du conte didactique, les personnages subvertissent les perspectives classiques du récit à morale. Ainsi les rats industriels déjouent habilement chaque piège d'extermination (poison, tapettes, chasse d'eau et même un gros matou) et les adultes sont moins ingrats et corrompus que victimes d'un pouvoir autoritaire. Alors qu'elle tient un subtil équilibre entre comique farcesque et satire politico-sociale, la pièce bascule dans une troisième dimension science-fictionnelle post-humaniste. Dépliant ses deux casseroles, le décor se transforme en laboratoire d'expérimentations génétiques où les rats sont formatés au calcul mental, sous le regard machiavélique d'un gruyère cyclope aux airs de gourou Illuminati. Outre la blague complotiste, ce deus ex machina coupé maladroitement son fromage. Avec cette pirouette aussi absurde qu'abrupte sur la question de la mise à mort, la pièce semble à court d'idée pour transcender ses trouvailles métaphoriques par une réflexion métaphysique sur la question. Dommage pour cet ultime retour qui glisse du brouillage de pistes au brouillon hors-piste, et se perd en chemin.