TÉMOIGNAGES BOURSIERS 2024

CALLYSTA CROIZER, critique théâtre et danse pour Les Échos et Mouvement

Si la métamorphose de la Cité des Papes en Ville-Théâtre est un phénomène bien connu, le Festival d’Avignon a pris cette année un départ bien agité. Outre l’anticipation atypique de l’événement – JO obligent –, le bal des spectacles s’est ouvert dans un climat de tensions démocratiques, catalysées par une montée de l’extrême droite en France et des élections législatives précipitées.

Aux premières voix sur les planches ont donc succédé les premières voix dans les urnes. Puis entre les deux scrutins, artistes, militantes et militants, spectateurs et spectatrices ont fait front commun une nuit durant sur la scène de la Cour d’honneur. Suivant les événements de loin, je me demandais bien quelle tournure prendrait le Festival le lundi 8 juillet 2024, au lendemain du second tour des élections. Fort heureusement, la nuit précédant mon départ, l’angoisse avait laissé place au soulagement dans les remparts. Et la place forte du spectacle vivant, prête à entrer en résistance, devait encore dévoiler son programme de réjouissances.

Troubles à part, avec un seul « Avignon » à mon compteur, il était certain que ce festival serait pour moi bien différent du précédent. L’année dernière, en tant que journaliste stagiaire dans un projet du Festival, j’avais eu la chance d’être logée gracieusement à proximité du centre-ville et d’écrire sur une quinzaine de spectacles – Festival et Off confondus – pour Les Échos. À la rentrée suivante, mes contributions sur le théâtre et la danse se sont poursuivies avec cette rédaction, puis étendues à Mouvement et Springback Magazine. Cependant, renouveler l’expérience « Avignon » en tant que jeune journaliste indépendante signifiait assumer seule le coût exorbitant du séjour. La bourse du Syndicat professionnel de la critique de théâtre, musique et danse a donc joué un rôle déterminant dans la concrétisation de ce projet. Le soutien que j’ai eu l’honneur de recevoir m’a permis de parcourir de long en large et pendant dix jours la 78e édition imaginée par Tiago Rodrigues.

Dans la ville en effervescence, les propositions artistiques atteignent une densité sans pareille. Pour autant, je suis restée une festivalière « mesurée », en assistant à dix-huit spectacles, majoritairement dans le Festival, tous mêlant théâtre, danse et performance. L’étalement de la programmation m’a permis de découvrir plusieurs pièces sur le tard, dont Hécube, pas Hécube de Tiago Rodrigues et Sea of silence de Tamara Cubas. C’est dans la deuxième partie des festivités que je me suis la plus aventurée. J’en ai surtout retenu deux pièces bouleversantes, Soliloquio (me desperté y me golpeé contra la pared) et Waqeycuna, portées par l’artiste queer argentin Tiziano Cruz, mais aussi Reminiscencia, la cartographie politico-intime de Malicho Vaca Valenzuela.

Sur les huit critiques rédigées pour Les Échos et Mouvement au cours des dix jours, sept ont été publiées dans la foulée – la dernière paraîtra à la rentrée. Or, dans la temporalité condensée du Festival, écrire pour plusieurs médias devient un exercice périlleux. Il faut redoubler d’habileté, de tact et de rigueur pour jongler entre les styles rhétoriques, les formats et les délais de rédaction. La réflexion analytique en est à la fois hyper-stimulée et mise à l’épreuve : l’écriture commence in medias res, voire dans l’urgence, accompagnée par l’insatisfaction ou la frustration de devoir poser des mots sur des intuitions, sans leur laisser le temps de décanter. Aussi inconfortable qu’il soit, cet écartèlement symptomatique de la critique creuse un sillon fécond pour questionner sa pratique, avec exigence, curiosité et humilité.

Le cadre du festival nourrit alors des nombreuses réflexions collectives. Au cours des dix jours, j’ai eu la chance de rencontrer plusieurs confrères et consœurs journalistes et critiques. Les débats ouverts au Café des idées, notamment lors des matinales animées par Zineb Soulaimani, se sont souvent prolongés dans les cafés du centre-ville par des discussions conviviales et fructueuses. Outre la confrontation des analyses des pièces de chacune et chacun, les conversations ont aussi abordé des sujets transversaux, dont le rôle de la critique, les dilemmes auxquels elle nous confronte et les multiples façons de la mettre en pratique.

Je tiens à exprimer ma profonde gratitude au Syndicat de la critique, qui m’a accordé les moyens de prendre part une seconde fois à cette expérience singulière qu’est le Festival d’Avignon. Ce temps précieux au cœur de l’événement m’a permis de grandir intellectuellement et a conforté mon enthousiasme à écrire sur le spectacle vivant. Mon seul regret pour ce passage avignonnais est de n’avoir pu participer aux conversations critiques. Appelée à couvrir la première d’une pièce du Festival, j’ai manqué l’occasion de me confronter à cet exercice dont je suis encore peu familière. Qu’à cela ne tienne. Il me tarde déjà de revenir en juillet prochain ; de retrouver le chant des cigales et les trompettes de Maurice Jarre ; de saisir à nouveau la plume, et bientôt la parole.

Critiques publiées :

Mouvement

Les Échos

PETER AVONDO, critique théâtre et danse, fondateur du magazine Snobinart, collabore avec L’Œil d’Olivier

Depuis que j’exerce le métier de critique, le Festival d’Avignon me lorgne du haut de ses remparts… À moins que ce ne soit le contraire ! Toujours est-il que, comme nous apprivoisant l’un l’autre pour créer une forme de relation entre deux entités, il y avait déjà deux ans que nous nous côtoyions de loin avant cette 78e  édition.

En 2022, pas encore de “In” pour moi. La bête est gigantesque, je n’y connais personne et je m’estime trop jeune, trop illégitime… C’est vrai, après tout, quel droit ai-je de venir mettre les pieds dans le plat de la Cour d’honneur, moi qui ai encore toute ma culture du spectacle vivant à (re)construire, avec mon petit magazine Snobinart sous le bras à peine âgé d’un an au moment des faits ? Allez, passe pour cette fois, on se contentera de quelques découvertes aléatoires dans les théâtres du Off. L’avantage avec Avignon, c’est que, si on le laisse faire, le festival revient chaque année.

Direction 2023, donc, là où les choses commencent sensiblement à bouger. Non seulement j’ai appris à prendre confiance en ce que j’écris – les retours que je reçois à ce propos aident, à n’en pas douter –, et les rencontres que j’ai pu faire les quelques mois qui ont précédé me confortent dans cette voie. En mai de cette année, je suis parti grâce au Syndicat au stage pour jeunes critiques organisé par l’AICT à Varna, en Bulgarie. À mon retour, j’ose enfin : le Festival d’Avignon m’ouvre légèrement les bras, j’assiste à mes premiers spectacles dans la Cour d’Honneur, au Cloître des Célestins ou à la Carrière de Boulbon. La chose n’est pas aisée, je fais encore les trajets en voiture depuis Montpellier, tôt le matin et tard le soir… L’an prochain, c’est décidé, je fais Avignon correctement !

Et nous voilà donc à l’orée de cette 78e édition, celle qui, dans la programmation de Tiago Rodrigues, accueille la langue espagnole comme invitée d’honneur. Quelques semaines avant les premières représentations, le directeur annonçait aussi la présence du chorégraphe Boris Charmatz en tant qu’artiste complice. Voilà qui tombait bien, je venais de le rencontrer quelques semaines plus tôt pour une interview ! Pour la première fois, j’ai l’impression de ne pas être parachuté par hasard au cœur du festival. Ça y est, les noms des artistes invités ne me sont plus totalement inconnus, et je viens de recevoir, en témoignage du soutien de mes confrères et consœurs, cette bourse qui me permettra de faire face à certains frais et qui devrait m’éviter les innombrables et épuisants trajets depuis Montpellier. Avignon, me voici pour de bon, et cette année je pars à ta rencontre pour Snobinart, ainsi que pour L’Œil d’Olivier avec qui je travaille depuis quelques mois déjà.

Et il faudrait maintenant que je me contente de quelques lignes pour résumer une édition ô combien riche et variée ? Qu’en dire ? D’abord que cette édition a commencé pour moi bien avant ma première représentation, l’ombre des propos d’Angélica Liddell planant dans toutes les conversations depuis le premier soir alors que je n’étais même pas encore arrivé dans la Cité des papes ! Moi qui pensais débuter mon festival avec l’épatant travail de Séverine Chavrier à La FabricA… Mais il faut croire que de la polémique ou de l’artistique, il est difficile à Avignon de distinguer lequel est le plus important. Je tenterai pourtant de maintenir mon cap. Je suis ici pour donner de l’écho aux artistes, et c’est en parlant de leur travail qu’il me semble plus pertinent de le faire.

Alors je retrouve avec joie Gwenaël Morin, Mariano Pensotti et Tiago Rodrigues. Je rencontre les univers sensibles et esthétiques de Lorraine de Sagazan, de Noé Soulier ou de Krzysztof Warlikowski. J’ai le sentiment de découvrir quelques pépites avec Gabriel Calderón ou Malicho Vaca Valenzuela. Et même si je reste dubitatif face aux propositions de Caroline Guiela Nguyen ou Yinka Esi Graves, ce sont précisément toutes ces expériences, couplées aux quelques rares incursions que j’ai pu faire dans le Festival Off Avignon, qui viennent alimenter le récit d’une édition sous le signe de la curiosité. Reste le regret de ne pas en avoir vu davantage dans les deux festivals, mais quelque chose me dit que c’est un sentiment qu’il faudra apprendre à apprivoiser… ce que je tenterai dès l’année prochaine !

En attendant, je vous invite à revivre mon épopée avignonnaise version 2024 avec les papiers parus durant cette édition :

Festival d’Avignon

Festival Off Avignon

CHLOË ROUGE, critique musical pour Altamusica

Dans la grande salle Berlioz ou à l’auditorium Pasteur du,Corum, au milieu des Soulages du Musée Fabre ou dans le théâtre Jean-Claude Carrière du Domaine d’O, j’ai pu écouter et couvrir pour Altamusica une partie de la programmation du Festival Radio France Occitanie Montpellier .

La bourse du Syndicat de la critique (Théâtre, Musique et Danse) m’a donné la possibilité de me déplacer et de me loger dans cette ville vivant au rythme de la musique et des cigales. La première impression que je retiens de cet événement culturel, ce sont plus de 8000 personnes, place de l’Europe, embarquées dans l’univers de la musique de film. Mon concert coup de coeur, c’est sans aucun doute Nicolas Baldeyrou jouant Boulez, Denisov et Zavaro au sein de la collection Outres-noirs de Soulages. Entre temps, il y a eu un Daphnis et Chloé riche de couleurs orchestrales variées par Louis Langrée à la tête des Siècles.
Dommage que le bord de scène avec le chef et le public, prévu après ce concert, n’ait pas eu lieu. Être lauréat de la bourse du Syndicat et couvrir un festival aussi intense que celui de Radio France Occitanie Montpellier, c’est être assez curieux pour écouter jusqu’à trois concerts par jour et garder l’oreille attentive et concentrée pour écrire sur un ou deux d’entre eux. C’est accepter de se plonger dans des univers musicaux variés — récital de piano, musique de chambre, répertoire d’orchestre symphonique —, de passer de Beethoven à Boulez et de rédiger tout ça à la fois. Cette épreuve, de taille, m’a projetée dans un nouveau rythme d’écriture à la fois stimulant et formateur. J’ai décidé de garder l’idée de ne jamais écrire mes articles le jour du concert et de laisser passer une nuit avant la rédaction. En suivant ce cap, mes journées étaient donc riches de temps musicaux, d’échanges avec des musiciens puis de périodes d’écritures.
Je regrette l’annulation de la Conversation critique qui avait pour objectif d’ouvrir une discussion entre
le public et les critiques de concert ; moment dont je me réjouissais parce qu’il effectuait un changement de média et parce qu’il promettait une rencontre avec mes collègues rédacteurs pour d’autres journaux.
Ceci étant, je remercie le Syndicat de la critique pour l’opportunité qui m’a été offerte. Passer une semaine dans un festival de musique aussi riche et varié que celui de Radio France Occitanie Montpellier, c'est non seulement une chance inestimable pour un jeune critique, mais aussi une véritable immersion dans un univers artistique vibrant, où chaque instant nourrit l’oreille et la plume.
Chloë Rouge


Les Siècles, Louis Langrée, Renaud Capuçon, Ma Mère l’Oye, Daphnis et Chloé
http://www.altamusica.com/concerts/document.php?action=MoreDocument&DocRef=7348&DossierRef=6775
Orchestre Philharmonique de RadioFrance, Mikko Franck, Symphonie n°4, Kindertotenlieder
http://www.altamusica.com/concerts/document.php?action=MoreDocument&DocRef=7350&DossierRef=6777
Nicolas Baldeyrou, Boulez, Bach, Zavaro
http://www.altamusica.com/concerts/document.php?action=MoreDocument&DocRef=7355&DossierRef=6782
Evgeny Kissin, Beethoven, Chopin, Brahms, Prokoviev
http://www.altamusica.com/concerts/document.php?action=MoreDocument&DocRef=7356&DossierRef=6783