Pas de plaque pour Dutilleux

On n’est jamais trahi que par les siens ! Voilà donc Henri Dutilleux, le compositeur français du XXème siècle le plus joué de son vivant, dans et hors de nos frontières, privé de plaque sur la maison de l’Ile Saint-Louis où il vécut la majorité de sa vie en compagnie de son épouse la pianiste Geneviève Joy. Derrière tout cela, une affaire de règlement de compte politique au niveau du 4ème arrondissement de Paris, dont le musicien se trouve être à la fois le prétexte et la victime collatérale. La belle affaire, me direz-vous : ça n’est pas un bout de métal, rédigé au demeurant en dépit du bon sens, Dutilleux y étant qualifié de « compositeur contemporain » (sic!), qui risque d’ajouter à sa gloire. Le conseil n’a même pas songé à y joindre le nom de Geneviève Joy !

Ce qui choque davantage, c’est la malhonnêteté du procédé utilisé et l’ignorance de ceux qui l’ont ourdi. La pose d’une plaque a été demandée par un conseiller UDI. La mairie socialiste a répondu que cela «n’était pas possible pour le moment ». Elle avait sollicité, comme il convient, l’avis du Comité d’histoire de la Ville. Celui-ci fut positif, mais assorti de la révélation que Dutilleux a composé en 1941 la musique d’un film de propagande gouvernementale Force sur le stade destiné aux industriels afin de les inciter à construire des équipements sportifs à proximité de leurs usines. Revenant de la Villa Médicis, Dutilleux avait vingt-cinq ans et gagnait sa vie comme chef de chant à l’Opéra. Nous ne voyons pas comment ce premier essai cinématographique peut autoriser Christophe Girard à évoquer dans un twitt l’ombre sinistre de Céline… Il ne faudrait pas tout mélanger, même pour quelques voix.

Pour rassurer M. le Maire, rappelons-lui que dès 1942 Dutilleux ralliait ses amis Roger Désormière, Irène Joachim, Manuel Rosenthal, Francis Poulenc au Front national des musiciens (pas celui des Le Pen !). Puisqu’il faut sortir les médailles, signalons qu’il a mis en musique dans la clandestinité des sonnets de Jean Cassou ou qu’un demi-siècle plus tard il restait hanté par le souvenir des enfants juifs déportés dans ce chef-d’œuvre créé à Berlin par Seiji Ozawa The Shadows of Time. S’il vous plaît, ne confondez pas Papon et Dutilleux ! D’ailleurs, s’il y avait eu le moindre doute, l’aurait-on élevé à la dignité de grand-croix de la Légion d’Honneur ?

Cet incident stupide et scandaleux fondé sur un mensonge délibéré prouve qu’on n’est jamais trahi que par ses « amis » : aux obsèques de Dutilleux qui n’a jamais caché ses préférences pour la gauche, il n’y avait personne du gouvernement socialiste ! La ministre de la culture d’alors lui avait préféré Georges Moustaki, mort le même jour, en espérant plus de retombées médiatiques... Seul Roland Dumas sauva l’honneur du parti face à son vieux camarade, et au nom de la Résistance. C’était sans doute mieux ainsi.

Jacques Doucelin, membre du Comité du Syndicat de la Critique

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